La gouvernance des coopératives agricoles, une question clé pour notre avenir collectif !
Le point de vue croisé de Marie Gailliot, administratrice VIVESCIA en charge du groupe du travail gouvernance, et de Véronique Blin, Présidente de Terroirs et Vignerons de Champagne.
Marie GAILLIOT, agricultrice-viticultrice, administratrice, Présidente de section (Mazagran), membre du Bureau et du Conseil de surveillance de VIVESCIA Industries. Depuis l’automne 2021, elle anime le groupe de travail gouvernance, composé de trois autres élus.
Biographie :
- 2015 : Élue administratrice de VIVESCIA, Présidente du Conseil de section de Mazagran (08).
- 2022 : Membre du Bureau VIVESCIA et nommée Présidente du Comité éthique du Groupe.
Véronique BLIN, viticultrice, Présidente de Terroirs et Vignerons de Champagne, administratrice de LCA (le syndicat – La Coopération Agricole) et Présidente de la commission gouvernance de LCA.
Biographie :
- 1992 : Élue administratrice de la cave coopérative de Vinay (38).
- 2012 : Présidente du Centre Vinicole – Champagne Nicolas Feuillate (CV-CNF).
- 2021 : Présidente de Terroirs et Vignerons de Champagne, le nouveau groupe champenois né de la fusion le 15 décembre 2021 entre le Centre Vinicole – Champagne Nicolas Feuillatte (CVCNF) et la Coopérative Régionale des Vins de Champagne (C.R.V.C.)
Vous êtes toutes les deux engagées et sensibles à la question de la gouvernance des coopératives, pourquoi est-il si important pour une coopérative de s’interroger sur cet enjeu?
VB : Le modèle coopératif agricole est singulier et exigeant. Les associés-coopérateurs, viticulteurs ou agriculteurs sont à la fois détenteurs de capital social et apporteurs de matières premières, ce sont eux qui dirigent, par le biais de leurs représentants élus au Conseil d'Administration et par l’expression de leur voix dans le cadre des Assemblées Générales. Une gouvernance de qualité, avec une clarté des missions et des rôles de chacun (élus et opérationnels), des comportements et un savoir-être adapté, influence directement la performance d’une coopérative et donc sa réussite.
MG : J’ajoute qu'a fortiori dans un contexte économique et agricole de plus en plus complexe et instable, une gouvernance solide et stable est une question centrale pour la pérennité de notre modèle coopératif. C’est aussi une question de crédibilité et de légitimité vis-à-vis des pouvoirs publics qui suivent de près cet enjeu. Notre groupe coopératif nécessite une gouvernance, certes robuste, mais surtout qui s’inscrive dans une démarche de progrès continu. C’est notre ligne de conduite ! Cette exigence est forte du fait de notre dimension, de nos responsabilités sur notre territoire, de notre modèle agri industriel et de notre présence dans 24 pays.
Véronique Blin, vous êtes en charge d’animer la commission sur ce sujet au sein de LCA, le syndicat professionnel des coopératives agricoles, quelles sont vos priorités ?
VB : Nous avons trois sujets majeurs :
- La féminisation des Conseils d’Administration. Il ne s’agit pas d’instaurer de quotas ni de dogmes mais simplement de refléter au mieux dans les Conseils la nature du sociétariat de la Coopérative.
- La formation des élus est aussi un enjeu essentiel : je pense qu’un administrateur ne peut représenter efficacement les associés coopérateurs qui l’ont élu que s’il est en capacité de comprendre et de maîtriser les sujets parfois très complexes abordés en Conseil. Il existe peu de schémas et de cursus de formation types : il est donc nécessaire de mettre en place des formations adaptées aux besoins des administrateurs et au contexte de l’entreprise.
- Enfin, le 3ᵉ sujet tout aussi important est le renouvellement des générations dans les instances coopératives. On constate encore quelquefois certaines difficultés à faire une place aux jeunes. En même temps, s’investir au sein de sa coopérative a pour conséquence directe d’être moins présent sur sa propre exploitation et la question de la (non) disponibilité est souvent un sujet prégnant, en particulier pour les jeunes installés. Cela implique de mettre en place un système d’indemnisation du temps passé juste et cohérent destiné à financer le remplacement de l’administrateur sur son exploitation lors de ses absences.
MG : Je partage pleinement. Les questions du renouvellement, du rajeunissement dans nos instances de gouvernance et de la formation sont prioritaires et font partie précisément des sujets à l’agenda du groupe de travail gouvernance VIVESCIA que j’anime depuis 15 mois avec mes trois collègues élus*.
* Groupe de travail gouvernance VIVESCIA, piloté par Marie Gailliot et composé de trois autres administrateurs : Alban Collard, Damien Fosseprez et Emmanuel Joanot.
Le Haut Conseil de la Coopération Agricole (HCCA) a publié un guide de bonnes pratiques en 2021 à ce sujet. Quels enseignements en avez-vous tirés ?
VB : Avec ce guide dont j’ai suivi les travaux, le HCCA complète l’aspect statutaire en émettant des recommandations sur les bonnes pratiques de gouvernance d’une coopérative agricole. Sa force est de donner des bases concrètes et de proposer des indicateurs que chaque coopérative peut s’approprier. L’autodiagnostic sert précisément à ça : savoir où on en est et se poser les bonnes questions. C’est aussi un guide du savoir-être, qui se veut avant tout pratique, j’oserai dire « tout terrain ». C’est pourquoi, j’incite tout le monde à le lire… et à le mettre en œuvre au sein de sa structure coopérative.
MG : Dès sa publication, nous avons échangé au sein du Conseil d'Administration, le prenant comme un véritable outil de progrès. Je me suis portée volontaire pour ouvrir un chantier gouvernance. Ma première action a été de conduire l’autodiagnostic proposé et préconisé par le guide du HCCA. Nous avons constaté avec satisfaction que nous appliquions déjà près de 60% des recommandations, il faut souligner que, depuis plusieurs années, des actions ont été conduites. Il y avait en revanche quelques chantiers sur lesquels nous n’étions pas encore au point. Nous n’avions notamment pas de Charte administrateur, qui formalise les droits et les devoirs. Les valeurs, nos responsabilités, nous les connaissions tous et la transmission s’opérait correctement, mais rien n’était écrit ! Or, une charte pose le cadre et formalise les règles du jeu.
Quels axes de progrès avez-vous identifiés et comment vous êtes-vous mis en ordre de marche pour travailler sur ce sujet chez VIVESCIA ?
MG : Le Conseil d'Administration m’a confié l’animation d’un groupe qui lui propose des pistes d’amélioration en matière de gouvernance. Notre premier chantier a donc été d’élaborer la Charte de l’administrateur(rice) VIVESCIA. À l’issue d’un travail de six mois en co-construction, la Charte a été validée par le Conseil d'Administration et chacun des élus l’a signée à l’automne 2022. Nous sommes désormais à 70 % de respect des recommandations HCCA et notre objectif est de tendre vers les 100% à l’horizon de juin 2023.
Concrètement, quelles actions spécifiques sont mises en place dans vos coopératives respectives ?
VB : Chez Terroirs et Vignerons de Champagne, nous travaillons bien sûr sur la question des jeunes, avec l’animation de deux groupes complémentaires : d’un côté des jeunes associés-coopérateurs et de l’autre de jeunes salariés. Les groupes se rencontrent régulièrement pour débattre de sujets communs, ils organisent aussi des évènements où ils nous sollicitent en tant qu’élus. Nous réfléchissons également à rafraîchir notre Charte de l’administrateur, qui nous rappelle des points basiques, mais essentiels comme la nécessité d’être solidaire des décisions, d'être assidu et de respecter la confidentialité… on revient souvent au bon sens et au savoir-être.
MG : De notre côté, nos travaux en cours portent notamment sur la formation des élus, le renouvellement et l’accueil des nouveaux administrateurs, les jeunes, l’accueil des nouveaux associés-coopérateurs. En ce qui concerne la formation, nous allons lancer un autodiagnostic des besoins de chacun dans le cadre de ses mandats. Notre objectif est de construire, dès le prochain exercice, un plan de formation pluriannuel. L’important, c’est de veiller à la compétence collective du Conseil d'Administration par la complémentarité des savoirs. Pour l’accueil des nouveaux associéscoopérateurs, nous voulons formaliser un processus sur l’ensemble du territoire, avec l’idée d’une journée d’intégration. Nous venons tout juste aussi de lancer le Comité jeunes VIVESCIA avec 22 membres qui s’engagent pour trois ans dans un parcours de découverte des coulisses du Groupe VIVESCIA, de dialogue avec les instances dirigeantes sur le futur de VIVESCIA.
Comment abordez-vous le sujet de la féminisation dans vos instaces de gouvernance, l’une viticole et l’autre céréalière ?
VB : Je ne crois pas qu’un système de quotas soit judicieux. Soyons pragmatiques : dans le cadre de la représentativité, le Conseil devrait être le miroir du sociétariat dans son genre, même proportion de femmes administratrices que de femmes associées-coopératrices.
MG : 100% en phase, notre sociétariat, reflet des grandes cultures, est composé d’environ 10% de femmes cheffes d’exploitation actives, je suis aujourd’hui la seule administratrice. Si demain nous avons l’occasion d’accueillir une 2e administratrice, cela serait plus cohérent. Mais soyons pragmatiques effectivement. Notre enjeu, c’est le renouvellement d’une partie des élus dans cinq à sept ans. Peu importe qu’ils soient hommes ou femmes. Les critères qui font un bon candidat sont avant tout sa motivation, ses compétences et son engagement.
Un dernier mot à ajouter ?
VB : Oui, plutôt deux mots peut-être. Être un administrateur de coopérative ne s’improvise pas, et j’insiste à nouveau sur l’importance de la formation. Et pour finir, j’aimerais rappeler l’importance du bon fonctionnement du binôme « Président–Directeur », maillon déterminant de la qualité de la chaîne de la gouvernance coopérative.
MG : Tout ce travail de progrès continu repose en partie sur des relations humaines, et mérite qu’il soit fait avec respect et bienveillance, c’est comme cela que je compte avancer avec mes collègues élus VIVESCIA.