Interview

Une chaire de recherche pour des fermes résilientes, bénéfiques pour le climat et la biodiversité

chaire unilasalle

VIVESCIA et l’Institut polytechnique UniLaSalle partagent les mêmes objectifs : l’amélioration des connaissances et la stimulation de l’innovation pour répondre aux enjeux de la transition agroécologique. La chaire « Des fermes résilientes, bénéfiques pour le climat
et la biodiversité », en partenariat avec l’INRAE, s’inscrit dans le programme TRANSITIONS.

Explications avec Michel-Pierre Faucon, directeur délégué à la recherche UniLaSalle Beauvais, et Étienne Mignot, ingénieur agronome¹ VIVESCIA.

D’où est née l’idée de créer cette chaire de recherche ?

Michel-Pierre Faucon : Nous formons de nombreux ingénieurs en agronomie, en agroalimentaire, en agroécologie, en gestion… pour les territoires associés à VIVESCIA. Et le partenariat avec la Coopérative est de longue date. Récemment, nous avons mené un projet de recherche2 en commun sur les cultures intermédiaires. Le projet TRANSITIONS, porté par VIVESCIA, nous a offert l’opportunité de structurer notre collaboration.

Étienne Mignot : L’agriculture évolue et, avec elle, les enjeux environnementaux, économiques et sociaux. Les associés-coopérateurs de notre territoire veulent être acteurs de ces changements, pour ne pas avoir à les subir. Notre rôle est de défendre leurs intérêts et les accompagner dans les nécessaires transitions. Pour cela, nous avons besoin d’explorer de nouveaux champs des possibles.

Pourquoi fait-elle sens pour vos deux organismes ?

M.-P. F. : La singularité du programme TRANSITIONS, et de la chaire qui en découle, est éminemment attractive pour nous,
scientifiques. Il n’existe pas, en France, de projet d’une telle ampleur, qui fixe des objectifs de réussite en considérant la
diversité des exploitations agricoles et qui amène de la valeur à la fois pour les agriculteurs et les acteurs de l’aval agricole. Un projet initié et porté par le monde agricole, des agriculteurs aux acteurs de l’aval, dissocié de réglementations provenant d’organes décisionnaires externes souvent éloignés des agriculteurs. Ici, il y a une règle du jeu définie par les acteurs pour avancer. Une philosophie qui résonne avec l’identité scientifique d’UniLaSalle.

Notre rôle est de contribuer au futur soutenable des territoires et des filières agricoles. La formation de nos ingénieurs se combine à une recherche conceptuelle et appliquée en agroécologie, avec et pour les agriculteurs. Nous avons les bottes dans la terre et la tête dans les données. Nous collaborons avec les communautés scientifiques internationales et nous sommes aussi une école reconnue pour notre capacité à nouer des partenariats avec les acteurs socio-économiques des territoires et filières agricoles avec lesquels nous co-produisons des outils et des articles scientifiques.

E. M. : La collaboration entre une école qui veut rester proche du terrain et nous, Coopérative, est naturelle. Dans le cadre de nos propres recherches, nous avons acquis depuis quelques années un très grand nombre de données. L’expertise d’UniLaSalle, couplée à nos propres compétences, nous donnera les moyens d’analyser plus précisément cette data pour en retirer le maximum d’enseignements. Ce partenariat est aussi l’occasion pour nous de nous engager au plus près des étudiants, de faire connaître nos actions et de partager les résultats de nos recherches avec les futurs acteurs du milieu agricole.

En quoi cette chaire s’inscrit-elle dans le programme TRANSITIONS, programme pionnier et concret d’accompagnement d’agriculteurs des territoires du nord-est de la France porté par VIVESCIA ?

E. M. : C’est une brique du programme. Le but est d’apporter des clefs pour maintenir une production dans un contexte climatique changeant, que les agriculteurs perçoivent l’intérêt direct de ce programme, pour en même temps s’engager dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre, la préservation des sols et de la biodiversité.

M.-P. F. : En plus de porter une direction et des outils pour accélérer la transition agroécologique, le projet TRANSITIONS constituera un laboratoire vivant qui définira, d’ici quelques années, les systèmes de culture et d’exploitation les plus vertueux, de nouveaux sujets de recherches-actions… par exemple sur le coût de la transition agroécologique, la juste répartition de la valeur entre les acteurs, etc.

 

1. Référent du socle agronomique du programme TRANSITIONS.
2. Thèse Cifre de Nicolas Honvault.

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Ce qui n’est pas mesuré ne peut être amélioré. L’expérimentation et l’analyse de données sont des
indispensables aux évolutions des systèmes de culture. Qui dit changement de pratiques dit risques, il faut donc être capable de les mesurer pour les anticiper.
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Étienne Mignot
ingénieur agronome, référent du socle agronomique du programme TRANSITIONS chez VIVESCIA
Concevoir de nouveaux systèmes agricoles basés sur les principes de l’agroécologie passe-t-il nécessairement par l’avènement d’une agriculture de la connaissance ?

M.-P. F. : Sur la compréhension de systèmes complexes répondant aux facteurs naturels physiques et chimiques (des sols, des climats qui peuvent être déterministes ou aléatoires), biologiques (du gène à la communauté d’êtres vivants cultivés et spontanés), techniques et organisationnels, il y a encore beaucoup à connaître. L’application de processus écologiques dans les systèmes cultivés est la base de l’agroécologie, mais ne suffit pas. Nous pouvons accélérer cette connaissance par cette collaboration avec les agriculteurs et les équipes de VIVESCIA, et par l’avancée du numérique (modèles mécanistiques actuels et modèles basés sur les méthodes d’autoapprentissage qui sont des outils). Cette nouvelle connaissance sera ensuite confrontée au terrain, c’est-à-dire discutée avec les acteurs pour définir ensemble une direction.

E. M. : Ce qui n’est pas mesuré ne peut être amélioré. L’expérimentation et l’analyse de données sont des indispensables aux évolutions des systèmes de culture. Qui dit changement de pratiques dit risques, il faut donc être capable de les mesurer pour les anticiper. Par ailleurs, nous aurons besoin d’outils de plus en plus complexes et complets pour effectuer des mesures d’impact. Nous avons déjà des modèles pour les émissions de GES, nous aimerions avoir des outils pour mesurer l’impact d’un changement de pratique sur la biodiversité, mais cela regroupe tellement de critères que le développement prend du temps. Ce type de d’outil sera nécessaire pour le futur des productions agricoles, notre rôle de Coopérative est aussi de nous assurer que ces mesures ne viennent pas écraser les agriculteurs par le temps à y consacrer. C’est la maîtrise des données qui fait la réussite des projets. 

Le projet ambitionne d’identifier, parmi les pratiques culturales des territoires de VIVESCIA, celles qui favoriseraient l’adaptation des systèmes de culture au changement climatique et son atténuation. Quelles sont les conditions du succès de cette entreprise ?

M.-P. F. : La définition d’objectifs précis, tout en considérant la complexité des systèmes de culture et d’exploitation, et une
validation in situ à la ferme avec l’agriculteur. Nous mobiliserons à la fois nos acquis et les données engrangées par les experts agronomes de VIVESCIA afin d’identifier des variétés et des pratiques de semis, de travail du sol, d’association de cultures de nature à stabiliser les rendements face aux environnements changeants. La réussite repose sur le travail en équipe entre les experts de VIVESCIA, les agriculteurs-coopérateurs et UniLaSalle. C’est avant tout une aventure humaine et notre expérience de travail en commun contribue à un effet synergétique.

E. M. : Nous souhaitons développer une vision systémique, ce qui implique une mobilisation de connaissances et d’expertises très variées pour pouvoir proposer des solutions innovantes adaptées à nos territoires et prenant en compte les dimensions humaine et organisationnelle.

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Nous considérons que les agriculteurs, experts de VIVESCIA, ont autant de connaissances à partager que les
chercheurs, et que ces connaissances sont complémentaires.
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Michel-Pierre Faucon
directeur délégué à la recherche UniLasalle Beauvais et enseignant-chercheur
Concrètement, quels en seront les apports pour les associés-coopérateurs de VIVESCIA ?

M.-P. F. : La transdisciplinarité intégrant les multi-acteurs implique le dialogue et de sortir de la posture du scientifique sachant… Nous considérons que les agriculteurs experts de VIVESCIA ont autant de connaissances à partager que les chercheurs, et que ces connaissances sont complémentaires. Les scientifiques peuvent mobiliser ces différents types de connaissances pour créer de la valeur scientifique, socio-économique…

E. M. : Plusieurs rencontres annuelles par territoire sont organisées par VIVESCIA afin que nous partagions nos avis, présentions nos analyses et les soumettions à la discussion. Elles ont pour but d’inspirer les agriculteurs et de clarifier certaines incompréhensions dans un contexte sociétal où la communication est dense et complexe, et le dialogue manquant. Nos recherches et ces rencontres aboutiront à la production de guides et d’outils pour le pilotage des couverts, par exemple.

3. UniLaSalle est un institut polytechnique issu de la fusion de cinq écoles d’ingénieurs et de la création d’une école vétérinaire. Au cœur des enjeux de transition, il dessine une nouvelle génération de grande école qui unit les sciences du Vivant, de la Terre, de l’Environnement et de l’Énergie aux Sciences industrielles et aux technologies du numérique.

Publié le Mardi 14 mai 2024