Une affaire de famille mais un métier de moins en moins familial

Si l’agriculture reste encore une affaire de famille, l’exercice du métier est de moins en moins familial avec le recours de plus en plus fréquent à l’emploi salarié, à la délégation ou à la sous-traitance. Installé depuis 2003 à Maizières-la-Grande-Paroisse, dans l’Aube, Benoît Lamy en est un bon exemple. Il s’occupe de son exploitation et assure avec son ETA (entreprise de travaux agricoles) des prestations pour six exploitations, soit 930 hectares qui s’étalent sur 25 kilomètres, « à 100 % ou juste pour la moisson selon le profil de leur propriétaire », précise-t-il.

Autre évolution : la mutation du statut juridique des exploitations. Près de 60 % des chefs d’exploitation exercent leur activité en société (exploitant-associé) et, pour une minorité d’entre eux, sont présents dans plusieurs sociétés. L’organisation du travail et l’optimisation des ressources deviennent des enjeux majeurs. « Si les associés restent souvent familiaux, c’est moins la famille qui est mobilisée au service de l’exploitation que l’exploitation qui se mobilise au service de la famille et de la gestion de son patrimoine », explique François Purseigle.

Gérer une entreprise agricole nécessite aujourd'hui de s'entourer, déléguer, gérer des salariés, mesurer des risques, anticiper pour prendre des décisions lourdes.

Illustration avec Dominique Parisy, associé-coopérateur à Magnant (Aube) : agriculteur, entrepreneur de travaux agricoles, actionnaire dans l’hôtel-restaurant familial... les journées de Dominique sont bien remplies ! À 19 ans, il reprend une exploitation de grandes cultures de 180 hectares. Dix ans plus tard, avec ses parents, ses deux frères et sa sœur, il investit dans un hôtel-restaurant. « Le Conseil d’administration, ce sont mes parents avec leurs quatre enfants, ma sœur installée avec son époux sur l’exploitation de celui-ci, mes deux frères, leur épouse et moi », sourit le producteur. À la retraite de ses parents, il a aussi repris la ferme familiale, l’EARL Du Duizin, ainsi que la SARL Marisy,« une ETA qui possède le matériel et travaille en prestation pour nos trois fermes et pour les espaces verts de l’hôtel, ainsi que pour des exploitations extérieures » avec son frère Bruno. Ce dernier possède de son côté sa propre exploitation.

Entre faire ensemble et faire faire

Trois grands types de stratégie – qui peuvent cohabiter au sein de l’entreprise agricole – se dessinent : l’intégration de nouvelles fonctions (contrôleur de gestion, chef de culture, mécanicien...) ; la délégation de certaines activités à des spécialistes, pour tout ou partie de l’exploitation, et qui permet de se recentrer et de se professionnaliser sur certaines activités ; et l’association, c’est-à-dire la création d’un collectif d’agriculteurs pour répondre aux différents défis. La production agricole tend ainsi à devenir une activité de service comme une autre avec de nouveaux dispositifs de co-pilotage des exploitations agricoles, de nouveaux réseaux pour faciliter le recentrage sur des activités à forte valeur ajoutée et la délégation intégrale à des coopératives et/ou des prestataires spécialisés afin d’accéder à des expertises pointues, des compétences complémentaires et de nouvelles technologies.

À Saint-Benoît-sur-Seine (Aube), la récolte d’Éric Hamot est mutualisée : ses 190 hectares se fondent dans le total de 900 hectares de six exploitations voisines se situant dans un rayon de 10 kilomètres. Dès 2007, avec cinq collègues de la Cuma (coopérative d'utilisation de matériel agricole), il choisit de s’organiser en SEP (société en participation), dès que ce statut juridique a été créé. Assolements, itinéraires techniques puisqu’ils sont tous sans labour, moyens de production et produits sont mutualisés jusqu’à la marge brute.

Depuis qu’il a aménagé une ancienne grange en salle de réception au siège de l’exploitation, Éric apprécie encore plus cette solution : « Pour les moissons, il y a toujours assez de monde pour travailler. Et, surtout, que nos parcelles soient les premières ou les dernières à être moissonnées, nous gérons en commun les risques climatiques avec un parc matériel optimisé ».

Olivier Yverneau a quant à lui, deux objectifs lorsqu’il revient à temps plein sur l’exploitation familiale en 2016 : résilience et optimisation économique. Il s’associe avec ses voisins afin de mutualiser les charges de mécanisation. Ils fondent une ETA et emploient deux salariés. « Dès le début, nous avons choisi d’aller au bout de notre logique. Nous conservons nos assolements, nos appros et notre commercialisation, mais nous mettons nos rendements en commun. Nous cultivons comme si nous ne formions qu’une seule ferme pour optimiser l’organisation. »

Un métier d’entrepreneur

Gérer une entreprise agricole nécessite aujourd’hui de savoir s’entourer, déléguer, gérer des salariés, mesurer des risques, anticiper pour prendre des décisions lourdes. Des enjeux forts pour lesquels une solide formation technique, une connaissance approfondie des rapports de force et de l’environnement administratif ne sont pas de trop. Sans compter l’ouverture d’esprit et la capacité à s’exprimer, à convaincre... La jeune génération qui s’engage à reprendre la ferme familiale l’a bien compris. Souvent surdiplômée et ayant exercé une première activité professionnelle, elle aspire à contribuer au changement mais avec de nouvelles façons de concevoir la valeur de son travail, de sa production, de son entreprise. Et le désir de préserver la sphère familiale et professionnelle.

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