Vers une agriculture plus résiliente et toujours plus vertueuse...
Alors que le changement climatique bouleverse les équilibres naturels et impacte fortement la production et donc les rendements, l’agriculture est aussi sommée de revoir ses pratiques afin de contribuer à l’objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050. Tour d’horizon des transitions et des nouvelles pratiques agricoles déjà à l’œuvre...
Face à l’urgence climatique, l’Europe et la France se sont engagées à atteindre la neutralité carbone en 2050. L’agriculture, contributive pour 20 % des émissions de gaz à effet de serre (GES), sera l’un des ressorts pour atteindre cet objectif, car comme le souligne Jeanne-Marie Carré, responsable RSE du Groupe VIVESCIA, « l’agriculture et notamment les grandes cultures sont parfois pointées du doigt comme faisant partie des responsables du réchauffement climatique, mais représentent aussi une solution clé dans l’atteinte de l’objectif de neutralité, grâce au potentiel de stockage de carbone dans les sols agricoles ». Comment ? En évoluant vers des pratiques bas carbone. Le travail sur la fertilisation azotée, le recours demain à des engrais « verts » ou l’introduction de couverts agronomiques font partie des composantes importantes pour agir sur le bilan carbone.
Les nouvelles technologies à la rescousse...
Pour améliorer encore le bilan carbone de son exploitation, Clément Regnault, agriculteur-coopérateur VIVESCIA dans la Marne, compte beaucoup sur les évolutions technologiques des OAD* : satellites, drones, capteurs embarqués… pour évaluer l’hétérogénéité des parcelles et les besoins des cultures et moduler ses apports d’intrants. Une agriculture de précision efficace mais coûteuse, « encore fautil que ces technologies deviennent accessibles », souligne Clément.
Certains s’appuient sur les techniques de l’agriculture de conservation des sols (ACS) : limitation du travail du sol, diversification des espèces cultivées, couverts végétaux (légumineuses) pour favoriser la production naturelle d’azote, doper l’activité microbienne et faciliter la transformation des végétaux en humus, cultures dites « compagnes » pour lutter contre les nuisibles, réintroduction de haies, etc.
Philippe Mongin, agriculteur-coopérateur à Trampot, dans les Vosges, reconnaît, quant à lui, qu’«au début, je me suis tourné vers l’ACS pour trouver des alternatives aux désherbants chimiques de moins en moins efficaces du fait des résistances développées par les plantes ». Décision prise avec ses deux associés de basculer la totalité de la ferme en ACS, aidés par le Club Agrosol mis en place par VIVESCIA et animé par l’expert agronome Jean-Luc Forrler.
C’était il y a cinq ans et ils découvrent peu à peu plein d’autres avantages : « Même si nos intercultures ont plus ou moins de succès selon les caprices de la météo, elles font vivre le sol et le structurent par leur développement racinaire. Le sol est visiblement plus vivant et, surtout, on se rend compte que l’on peut produire sans travailler le sol, ce qui nous semblait inimaginable il y a encore dix ans ».
La démarche est de longue haleine - cinq ans minimum sont nécessaires pour réussir sa transition – et « il ne faut pas espérer un résultat à court terme sinon, on peut vite se décourager », prévient Philippe Mongin. Laurent Moreau, jeune exploitant dans les Ardennes, s’est lui aussi lancé avec enthousiasme dans l’aventure de l’ACS. Pour lui, la crise climatique et le contexte actuel de pénurie ont fait basculer l’agriculture dans le monde d’après : « En ACS, on développe un système cohérent qui permet de lutter contre les dépendances fossiles ».
Reste que ces changements de modèle s’inscrivent dans le temps long et nécessitent des investissements conséquents. Tout l’enjeu est donc de permettre une transition agroécologique et bas carbone de l’agriculture économiquement soutenable et aussi productive. Il est donc nécessaire de dérisquer les agriculteurs. En impliquant toute la chaîne de valeur des céréales avec les acteurs agroalimentaires, les collectivités locales, par exemple. En agissant sur les consommateurs, pour les sensibiliser et les inciter à agir avec leurs actes d’achats.
Dès avril 2022, VIVESCIA a proposé un diagnostic carbone simplifié gratuit auprès de l’ensemble des agriculteurs-coopérateurs. Il s'appuie sur une méthodologie adaptée (issue du label bas carbone grandes cultures), simple et accessible, construite par les équipes agronomiques de la coopérative en partenariat avec une start-up régionale. Objectif : réaliser un point 0 des émissions de gaz à effet de serre et du potentiel de stockage de carbone dans les sols pour se situer et mieux agir.
Hugo Collard, exploitant dans la Marne, travaille peu ses sols, a déjà introduit dans ses assolements du tournesol et du chanvre moins consommateur d’engrais, de la luzerne qui fixe l’azote et recourt aux OAD pour optimiser l’usage d’engrais sur ses parcelles. À partir du bilan carbone de son exploitation, il a évalué tous les projets possibles de décarbonation. « Aujourd’hui, aucun n’est économiquement viable, déploret- il, hormis l’installation de méthaniseur mais le nôtre existe déjà depuis 2018 et n’est donc pas considéré comme une évolution de diminution du carbone à ce jour. Il faudrait des aides de l’État, car aujourd’hui le marché du carbone n’en est qu’à ses balbutiements, le prix du carbone est insuffisant pour permettre de financer des projets notamment sur la réduction des engrais chimiques. Or, nous devons d’abord penser à faire tourner nos entreprises, dans un contexte compliqué. »
L’équation reste en effet complexe. « Nous sommes dans une logique empirique : tout le monde essaie des choses dans son coin mais personne ne détient la vérité », conclut Clément Regnault. « Il n’y a pas de recette miracle, à chaque ferme de trouver la sienne en restant ouverte à ce qui se pratique ailleurs », et comme le rappelle Alban Collard, associécoopérateur, « c’est un sujet qui ne pourra se traiter qu’en collectif ».