L’agriculture de conservation des sols, en quoi ça consiste ?
Avec l’agriculture de conservation, le sol travaille tout seul… Et c’est bon pour la planète ! Comment est-ce possible ? Et au fait, que conserve-t-elle ? Réponses avec Jean-Luc Forrler, ingénieur agronome, chef de projet « conservation des sols » chez VIVESCIA et animateur du club VIVESCIAgrosol. Pour lui, trois principes clés : limiter l’impact du travail du sol, couvrir les inter-cultures et modifier les rotations.
Qu’est-ce que l’agriculture de conservation ?
Il s’agit en fait d’agriculture de conservation des sols. Il serait peut-être même plus approprié de parler d’agriculture de « restauration », au sens « restaurer un milieu » pour rendre le sol plus fertile. L’idée est de retenir, voire de re-stocker, de la matière organique naturelle dans le sol. L’agriculture de conservation repose donc sur un ensemble de techniques agronomiques qui favorisent la biodiversité afin d’améliorer le potentiel naturel des sols.
Quelles sont les particularités de l’agriculture de conversation des sols ?
Tout d’abord, il ne faut pas labourer afin de ne pas perturber le sol et éviter l’érosion. Les vers de terre sont à eux seuls d’excellents et d’infatigables laboureurs. Il faut aussi soigner le système racinaire pour aider l’eau à circuler, à s’infiltrer. Entre les cultures, on couvre le sol : on parle de « couverts végétaux ». Il faut organiser les rotations avec les bons mélanges de couverts végétaux à base de légumineuses comme le trèfle, la luzerne, les lotiers pour qu’ils produisent naturellement de l’azote, dopent l’activité microbienne, et facilitent la transformation des végétaux en humus. Quand on laisse dans le champ les résidus, la paille et les enveloppes des cultures, la matière organique qui en est issue va restituer un fertilisant naturel pour les cultures de céréales. Il suffit ensuite de semer du blé, du colza, du maïs ou du soja directement sur le couvert végétal intermédiaire (ndlr : luzerne, trèfle, lotier…). C’est la technique semis sous couvert végétal.
Supprimer le labour, c’est vraiment l’agriculture de demain ?
A première vue, c’est toute l’imagerie d’Epinal de l’agriculteur opiniâtre derrière sa charrue qui s’effondre ! On pourrait même penser que c’est une agriculture pour les paresseux ! En fait c’est tout le contraire ! Rendre le milieu plus fertile implique d’apporter des nutriments dans le sol. Les démarches peuvent varier en fonction des cultures souhaitées, de la nature des sols et de l’exposition de la parcelle mais les protocoles restent complexes et exigeants. C’est donc un changement de modèle qui implique une évolution complète dans la manière de faire : diversifier les cultures, organiser leur rotation, mettre en place un couvert végétal permanent, être très précis et rigoureux dans l’application des solutions… Il faut s’y former et être bien accompagné. La période de transition dure entre 3 et 5 ans. Pour stocker naturellement de l’azote en quantité par exemple, il faut pérenniser la présence des légumineuses pendant plusieurs années.
En fait, c’est un cercle vertueux. L’enjeu, c’est de capitaliser sur la biodiversité ?
Oui. Le retour de la biodiversité favorise le développement des populations de vers de terre qui sont au cœur du système : leurs galeries facilitent l’exploration racinaire, ce qui structure le sol pour une meilleur portance et facilite le drainage. Densifier l’activité biologique du sol permet aussi d’intensifier le rôle de filtre du sol. C’est un moyen de dégrader les matières chimiques avant qu’elles n’arrivent dans les nappes phréatiques. On a ainsi un filtre biologique naturel qui évite la pollution des eaux souterraines et préserve l’environnement.
L’agriculture de conservation permet-elle de limiter les émissions de gaz à effet de serre ?
Pas de labour, donc pas de tracteur, c’est autant d’émissions de CO2 évitées. L’agriculture de conservation c’est aussi une façon très efficace de réduire les GES en stockant du carbone dans les sols agricoles sous forme de matières organiques. D’où l’intérêt du zéro travail des terres, des résidus de culture laissés dans les champs et du développement des cultures associées.
L’intérêt environnemental de l’agriculture de conservation est clair. Quels sont les avantages pour l’agriculteur ?
Le premier patrimoine de tous les agriculteurs, c’est vraiment leurs sols : les restaurer et les préserver durablement est donc un objectif évident sur la durée. L’agriculture de conservation tient compte aussi de la diversité et des particularités des différentes parcelles. Mais les avantages de l’agriculture de conservation, plus respectueuse de l’environnement, sont aussi économiques : moins de labourage, c’est moins de carburant, moins de matériel, moins de casse et moins d’usure des matériels liés à la remontée des cailloux et à leur perpétuel broyage. C’est aussi moins de levées d’adventices (la place est déjà occupée par le couvert permanent) et donc moins d’intrants. Quand on parvient à produire autant ou plus en investissant moins d’argent en mécanisation ou en phytosanitaires, on augmente la rentabilité des exploitations agricoles, de façon durable.
L’agriculture de conservation des sols fait-elle baisser les rendements ?
L’objectif de l’agriculture de conservation est précisément de maintenir des rendements élevés ! Lors de la période de transition, elle permet de garder une production régulière et performante. Et à long terme, elle permet d’atteindre une meilleure rentabilité économique en réduisant le besoin en intrants (engrais, produits phytosanitaires, carburant). Dernière précision importante : agriculture de conservation ne veut pas dire agriculture biologique car elle n’interdit pas les intrants. Elle en fait juste un usage très restreint à très petites doses et non systématiques. Encore une fois, l’objectif est d’atteindre des rendements élevés, alors que selon les cultures, l’agriculture biologique peut induire une baisse de de productivité de 40 à 70%.
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