Reportage

Agriculture de conservation  : un de nos agronomes conseille les agriculteurs dans leur démarche

Tour de plaine

9h15. Sur les hauteurs du village de Cuchery, au plan du Balai : paysage vallonné, soleil éclatant, légère brise… Nous sommes en compagnie de Jean-Luc Forrler, ingénieur agronome, animateur du Club VIVESCIAgrosol et infatigable militant de l’agriculture de conservation. Une vingtaine d’agriculteurs sont déjà réunis. Après de chaleureuses poignées de main, les conversations s’engagent, en petits groupes, autour d’un café chaud. Le tour de plaine va commencer ! 

Un tour de plaine VIVESCIAgrosol obéit à un certain rituel. Anciens ou récents adeptes de l’agriculture de conservation, ils ne manqueraient ce rendez-vous mensuel sous aucun prétexte. Car cette pratique agronomique ne s’improvise pas seul. Il faut s’y former. Et pour s’améliorer, rien ne vaut les échanges sur le terrain. Comme le résume un habitué : « On apprend toujours quelque chose ! ». 

Quand Jean-Luc Forrler bat le rappel, tout le monde se regroupe pour écouter ses conseils et ses commentaires à partir d’un cas pratique : aujourd’hui, c’est Stéphane Schumacher, l’agriculteur qui accueille les membres du Club sur sa parcelle. 

L’hôte du jour « raconte » sa terre et son expérience 

C’est le principe : chaque tour de plaine VIVESCIAgrosol est organisé sur les terres d’un adhérent. Stéphane commence donc par rappeler les caractéristiques de sa parcelle : forte pente, sol lourd et argileux, et avec des pierres… « Bref, une terre de m*** ! » conclut-il en riant. D’où l’intérêt de restaurer la matière organique du sol avec des inter-cultures pour enrichir le sol naturellement et éviter un labour – difficile ici – pour ménager le système racinaire, aider l’eau à circuler et éviter l’érosion. « De toute façon, avec la pente, le tracteur passe à la descente, mais je ne remonte pas. Il faut que je fasse le tour par la route, ça prend un temps fou ! ». Il explique aussi ce qu’il a semé après sa récolte d’orge, et dans quelles conditions. De temps en temps, Jean-Luc intervient brièvement pour commenter certaines options choisies par Stéphane. L’ambiance est conviviale et bienveillante. Mais les échanges entre les membres deviennent rapidement très techniques pour le non initié… 

Le point technique de Jean-Luc Forrler 

Spécialiste de l’agriculture de conservation depuis 22 ans, Jean-Luc s’appuie sur sa longue expérience terrain. Ingénieur agronome de formation, il se nourrit aussi d’études scientifiques et suit attentivement les expérimentations conduites par différents organismes de recherche et bien sûr, par VIVESCIA. Il en présente donc régulièrement les résultats à ses troupes. « L’agriculture de conservation exige de la rigueur !» répète-il souvent. « Ce n’est pas de la magie ! C’est la science qui permet d’expliquer pourquoi il est bénéfique d’arrêter de chambouler les sols. » 

Aujourd’hui, Jean-Luc a deux sujets. Tout d’abord, les semis précoces, une mode dont il conteste la pertinence avant de conclure fermement : « Donc, ça, on arrête ! ». Deuxième thème du jour : la lutte contre les insectes résistants. Il ouvre son grand cahier et montre des tableaux et des photos aériennes qui témoignent des résultats de divers essais d’insecticides sur différents systèmes de culture. « On voit bien que c’est le système de culture adopté qui est le plus déterminant pour lutter contre les insectes. »   Le temps de rappeler le programme, les dates et les intervenants de quelques conférences majeures auxquelles il recommande d’assister, et il est temps de faire ce fameux tour de plaine ! 

Après cet été particulièrement sec et chaud, la terre est assoiffée. Sur la partie haute de la parcelle de Stéphane, au milieu des restes de paille d’orge de la récolte du début de l’été, pointent quelques pieds de colzas et des féveroles, précieux auxiliaires pour capter l’azote de l’air. « A cette époque de l’année, elles devraient mesurer 15 cm et non pas 5 cm » commente en connaisseur Frédéric, l’un des agriculteurs qui participent au tour de plaine. « Plus bas, on voit que c’est vraiment plus humide ». De fait, le vert des pieds de colza et féveroles y est beaucoup plus dense. 

 

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Ce n’est pas de la magie ! C’est la science qui permet d’expliquer pourquoi il est bénéfique d’arrêter de chambouler les sols. 
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Jean-Luc Forrler
Ingénieur agronome, animateur du Club VIVESCIAgrosol

Le tour de plaine, bêche à la main ! 

Soyons clairs : le tour de plaine ne consiste pas vraiment à en faire le tour ! D’ailleurs aujourd’hui, les participants ne s’aventurent pas très loin sur la parcelle en pente de Stéphane. Très vite, ils se regroupent autour de Jean-Luc qui a commencé à creuser un peu le sol avec sa bêche. L’idée, c’est de l’observer au plus près, en surface et en dessous. Et chacun de prendre une poignée de terre pour examiner l’état des racines des couverts végétaux. On devise sur les trèfles, les moutardes blanches d’Abyssinie et autres légumineuses (féveroles, vesces, pois fourragers ou avoine…). On cherche aussi les insectes, ou leurs larves. On parle alors charançons, campagnols, noctuelles et limaces… et des moyens de les combattre. « Cette année, avec les fortes chaleurs, les limaces ont desséché dans les sols argilo-calcaires. Mais dans les sols limoneux, qui peuvent garder de la fraicheur en profondeur, il faut se méfier. S’il pleut, les larves peuvent éclore et remonter ».  

Pour les insectes sauteurs comme la cicadelle, l’agriculture de conservation est le meilleur remède. « Dans l’agriculture de conservation, on dit toujours qu’on travaille comme des cochons ! » (rires dans le public évidemment) : il est clair qu’avec les couverts végétaux, les champs en agriculture de conservation font un peu désordre à côté des champs « bien peignés »,  aux sillons de labour bien réguliers. « Mais l’essentiel, c’est d’être efficace ! Dans les parcelles bien préparées, une bonne couverture constitue un obstacle majeur pour les cicadelles, donc c’est très rare que nous ayons des soucis ». 

En agriculture de conservation, l’enjeu principal est de préserver l’écosystème. « Tant que vous mettrez des insecticides qui foutent tout en l'air dans vos systèmes, vous ne construirez jamais quelque chose de sérieux en agriculture. Est-ce que je suis clair ? » dit Jean-Luc fermement mais avec le sourire. Pour autant, il n’est pas dogmatique. Il est avant tout soucieux des rendements et des intérêts des agriculteurs : « Donc, l’idéal, c’est de ne pas mettre d’insecticides » poursuit-il. « Mais l’important, c’est aussi de sauver les cultures. Donc, s’il faut, traiter, on traite ! En petites doses, et pas avec n’importe quoi ! Si vous intervenez en début d‘attaque, une dose à 0,1 suffit largement ». 

Bien sûr, chacun compare le champ de Stéphane avec le sien. « Ah ! Tu as fait comme ça, moi j’ai pas osé ! ». On se renseigne auprès du voisin : « Et toi, tu as semé quand ? J’aurais dû faire pareil … » Un des participants interroge Jean-Luc sur les noctuelles. « La noctuelle, elle sort la nuit. Donc ça ne sert à rien de traiter en pleine journée. Il faudrait le faire entre minuit et 1h du matin. Mais ce n’est pas parce qu’il y a des petites piqures qu’il faut intervenir ! Dans ton cas, je ne toucherais à rien. » 

Autour de Jean-Luc, les questions fusent ! Parfois 2 ou 3 en même temps ! Chacun raconte ce qu’il a fait, explique le problème qu’il a rencontré : les limaces, les petits escargots, les oiseaux, etc. Jean-Luc répond toujours. Il pose des diagnostics, propose des solutions précises et documentées en fonction des caractéristiques pédo-climatiques de la parcelle de l’adhérent, rappelle l’itinéraire technique pertinent en fonction des sols de chacun, encourage, rassure… Le cas échéant, il émaille son discours d’anecdotes, raconte les mésaventures de certains agriculteurs quand ils n’ont pas respecté le protocole. Il connaît chaque parcelle du territoire VIVESCIA, ce qui se passe dans les champs de la région, y compris chez ceux qui labourent. « Et dans des conditions identiques, se plait-il à rappeler, les laboureurs n’ont pas un plus beau colza que vous qui n’avez pas labouré » ! 

L’église de Cuchery sonne déjà midi. Il est temps de clore ce tour de plaine. Certains regagnent leur voiture. Mais ceux qui n’ont pas eu le temps de poser leurs questions à Jean-Luc jouent les prolongations. Les autres restent à côté parce qu’il y a toujours des enseignements à tirer de l’expérience du voisin et des conseils que Jean-Luc leur donne… 

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 J’anime 17 groupes répartis sur l'ensemble des territoires VIVESCIA, à raison d’un tour de plaine par mois pour chaque groupe 
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Jean-Luc Forrler
Ingénieur agronome, animateur du Club VIVESCIAgrosol

Épilogue et fin de journée 

Jean-Luc revient enfin vers sa voiture avec un grand sourire. « A chaque fois, c’est comme ça. Je suis bombardé de questions sur plein de sujets différents. Donc les tours de plaine du club VIVESCIAgrosol ne sont pas de tout repos pour moi ! Mais cela me rend heureux de voir que de plus en plus d’agriculteurs se lancent dans l’agriculture de conservation, qu’ils continuent et qu’ils progressent. Il y a un an à peu près, le club VIVESCIAgrosol comptait une centaine de membres. Aujourd’hui, ils sont plus de 350. Et pour être plus proche d’eux, j’anime 18 groupes répartis sur les 8 départements que couvre le territoire VIVESCIA, à raison d’un tour de plaine par mois pour chaque groupe ».  La rançon de succès ? Pas de réponse… Modeste, Jean-Luc s’éloigne un sourire au coin des lèvres en faisant un signe de la main. Il a rendez-vous cet après-midi avec un organisme qui aimerait bien profiter de la dynamique qu’il a insufflée sur l’agriculture de conservation. La rançon du succès, vraiment. 

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Publié le Jeudi 5 mai 2022
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